10 octobre 1996


À QUAND L'ALLOCATION UNIVERSELLE?

En attendant des emplois qui ne viennent pas - et ne seront peut-être jamais créés - certains préconisent la solution du revenu minimum garanti pour tous

Même si chaque gouvernement arrive au pouvoir en promettant de s'attaquer au chômage et de créér des emplois, l'électeur un peu averti sait que les politiciens ont peu de chances de tenir leurs promesses. À tel point que certains chercheurs en sciences sociales proposent aujourd'hui d'envisager ce problème du manque de travail sous un autre angle et d'instaurer une allocation universelle, versée à tous les citoyens. Des professeurs d'économie, de science politique et de sociologie, des syndicalistes, des fiscalistes et des travailleurs sociaux ont réfléchi durant deux jours à la manière de mettre en place ce revenu minimum garanti, aux obstacles qu'il pourrait rencontrer et à ses conséquences sociales au cours d'un séminaire, organisé les 4 et 5 octobre par le Département de science politique de l'Université Laval.

Le grand public a pu lui aussi se pencher sur la question, grâce à la conférence d'introduction donnée par Philippe Van Parijs. Ce professeur d'éthique économique et sociale à l'Université catholique de Louvain en Belgique ne craint pas d'aller à contre-courant de la pensée libérale actuelle qui invite les dirigeants à démanteler l'État-providence pour faire des économies. Membre fondateur du Basic Income European Network (B.I.E.N.), un réseau d'échange d'idées autour de l'allocation universelle, il critique la facilité avec laquelle les gouvernements des pays industrialisés rognent sans cesse sur les fonds consacrés au financement des programmes d'aide sociale. Du coup, un pan entier de la société se trouve exclu du marché, faute de revenus suffisants.

Clochards ou milliardaires, même combat
Selon Philippe Van Parijs, une partie de la solution pour réduire la pauvreté passe par l'instauration d'une allocation qui ne dépendrait ni des revenus de l'allocataire, ni de son statut social, de sa situation familiale ou du désir de travailler. Autrement dit, un clochard, un milliardaire, un étudiant, un retraité pourraient, selon ce système, toucher le même montant de base. «Actuellement, un prestataire de la sécurité du revenu n'a pas intérêt à travailler. Lorsque son revenu brut augmente un peu, sa prestation s'en ressent et il a moins d'argent en définitive car les emplois qu'il exerce sont souvent peu rémunérés, précise le concérencier. L'allocation universelle, par contre, s'ajouterait à d'autres revenus, ce qui l'inciterait à travailler.»

Contrairement à ce que l'on pourrait croire, les plus ardents défenseurs de ce système en Europe n'appartiennent pas à la sphère socialiste. Les partis libéraux autrichien, néerlandais et britannique s'intéressent beaucoup à cette allocation universelle qui permettrait à leurs yeux notamment d'améliorer la flexibilité du marché du travail. «Ils considèrent que les salariés accepteraient plus facilement de changer d'emploi ou de travailler à temps partiel s'il existait un revenu minimum garanti, explique Philippe Van Parijs. D'autres libéraux, comme Milton Friedman, y voient un moyen de simplifier les procédures administratives afin, à terme, de supprimer l'État-Providence.»

Économies de proximité
Les groupes écologistes soutiennent également cette mesure qu'ils imaginent comme un moyen de favoriser l'économie sociale. L'introduction d'une telle allocation où le prestataire n'a pas à chercher du travail permettrait de valoriser les rapports de voisinage, l'éducation des enfants à la maison, les tâches ménagères, le réseau associatif. «Des militants considèrent de leur côté qu'il faut décourager la demande d'emploi pour réduire le chômage car ils refusent une croissance accélérée», explique le secrétaire du B.I.E.N. Si les personnes sans emploi ont accès à ce revenu minimun, pourquoi en effet s'évertuer à chercher un travail toujours plus rare?

Finalement, c'est dans le monde syndical et les partis socialistes que les propositions des partisans de l'allocation universelle rencontrent le moins d'enthousiasme. Traditionnellement, les idéologues de gauche ont lutté depuis le siècle dernier pour diminuer un travail aliénant pour les ouvriers. Aujourd'hui, travailler constitue presque un priviliège et les syndicats tentent de partager cette denrée précieuse, en refusant d'utiliser ce revenu minimun garanti qui pourrait fragiliser encore un peu la législation du travail. Mais les promoteurs de l'allocation universelle n'en sont déjà plus là. Ils en viennent maintenant à considérer ce versement comme un dividende social sur le patrimoine collectif. Peut-être qu'à l'avenir, l'apport collectif du travail bénévole, du travail ménager, du soin aux personnes âgées à domicile sera enfin pris en compte et rémunéré par ce type d'allocation.

PASCALE GUÉRICOLAS